Quand une proposition politique vise à transférer la charge des déficits sociaux sur les épaules des malades, le débat dépasse la comptabilité publique : il touche à la justice, à la santé publique et à la dignité. Dans une tribune au Monde, l’universitaire Gulsen Yildirim reproche à François Bayrou de vouloir faire porter aux plus fragiles une cure d’austérité sur la santé. Cet article décrypte pourquoi faire peser sur les malades les déficits sociaux n’est ni audacieux ni courageux, et propose des alternatives concrètes et responsables.
Contexte politique et enjeux : une fausse audace
La proposition de rééquilibrer les comptes sociaux via des économies sur la dépense de santé suscite une vive polémique. À première vue, réduire les dépenses publiques de santé peut sembler une décision radicale ou courageuse pour des responsables choqués par la croissance des déficits. Mais la rhétorique du courage cache souvent une simplicité comptable : diminuer les remboursements, augmenter les franchises, ou développer les mécanismes d’effort des usagers revient à transférer la charge financière vers des populations déjà vulnérables.
Plusieurs éléments structurent le contexte :
- La logique budgétaire immédiate : les décideurs cherchent à limiter les déficits et à rassurer les marchés et les agences de notation.
- La pression politique : proposer des mesures visibles et simples (baisser une prestation, augmenter un ticket modérateur) peut être politiquement payant à court terme.
- La question morale : doit-on traiter la santé comme une variable d’ajustement budgétaire ou comme un droit lié à la dignité et à la cohésion sociale ?
L’argument selon lequel il est « responsable » de faire contribuer davantage les usagers repose souvent sur l’idée que les dépassements et la consommation excessive de soins expliquent la dépense. Ça occulte deux réalités : d’une part, la majorité des dépenses de santé sont concentrées sur une minorité de personnes atteintes de pathologies chroniques ou graves ; d’autre part, rendre l’accès aux soins plus coûteux entraine des effets pervers (retard de diagnostic, aggravation des maladies, coûts ultérieurs plus élevés).
Qualifier une mesure d’« audacieuse » ou de « courageuse » revient souvent à masquer un choix idéologique. La véritable audace consisterait à s’attaquer aux racines du problème — inégalités alimentaires, logement, ressources insuffisantes, fiscalité inefficace — plutôt qu’à ponctionner ceux qui sont déjà malades. C’est là que se situe la critique de Gulsen Yildirim : ce n’est ni une solution durable ni un geste de solidarité.
Pourquoi faire peser la charge sur les malades est inefficace et injuste
Sur le plan sanitaire, économique et social, faire peser les déficits sur les malades produit plusieurs conséquences négatives et souvent contre-productives.
Les enjeux de santé publique sont au cœur des préoccupations actuelles, notamment avec les récentes annonces du Budget 2026, qui prévoit 5 milliards d’euros d’économies dans le secteur de la santé. Cette approche, bien qu’apparemment nécessaire, soulève des questions quant à l’impact sur l’accès aux soins et à la prévention. En effet, des mesures d’économie à court terme peuvent entraîner un alourdissement des coûts à long terme, mettant en péril la santé des populations les plus vulnérables.
En outre, la tendance à rendre les soins moins accessibles pourrait exacerber les injustices sociales, créant une fracture entre ceux qui peuvent se permettre des soins de qualité et ceux qui, faute de moyens, se voient contraints de retarder leurs consultations médicales. Cette dynamique nuit non seulement à la cohésion sociale, mais peut également miner la confiance dans le système de santé. Il est donc crucial d’adopter une perspective plus complète, prenant en compte les effets à long terme des choix budgétaires sur la santé publique. L’engagement de tous est essentiel pour bâtir un système de santé équitable et durable.
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Effets sur l’accès et la prévention
Rendre les soins plus coûteux dissuade les personnes aux revenus modestes de consulter. Résultat : retards de diagnostic, recours tardif à l’hôpital, augmentation des soins d’urgence. La prévention, qui est l’un des leviers les plus efficaces et les moins onéreux sur le long terme, perd de son intérêt si elle est rendue financièrement moins accessible.
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Alourdissement des coûts à terme
Les économies apparentes à court terme peuvent se transformer en dépenses plus lourdes. Une pathologie mal suivie dégénère : hospitalisations prolongées, complications médicales, incapacité de travail. L’État finit souvent par payer davantage, de façon décalée.
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Injustice sociale et discrimination
Les malades chroniques, les personnes âgées et les ménages modestes paient une part disproportionnée. La santé devient un marqueur de classe : ceux qui ont les moyens se protègent, les autres s’exposent. Ça fragilise la cohésion sociale et accroît les inégalités de santé.
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Impact sur la confiance dans le système de santé
La perception d’un système qui abandonne les plus vulnérables mine la confiance collective. Or, la confiance est essentielle pour l’adhésion aux campagnes de prévention, au respect des parcours de soins et à la coopération entre professionnels et usagers.
Exemple concret : lorsque des franchises ou tickets modérateurs augmentent, certains patients renoncent à des consultations de suivi. Résultat : longueur de traitement augmentée, complications, et parfois hospitalisation. L’économie fondée sur la réduction des remboursements est donc souvent illusoire et socialement coûteuse.
La stratégie de faire porter la charge sur les malades est une fausse bonne idée : elle allège les comptes à vue courte mais alourdit les conséquences humaines et financières sur le moyen et long terme. Ce qui n’est ni audacieux ni courageux, c’est de choisir la facilité comptable en sacrifiant la santé publique.
Alternatives : justice fiscale, prévention et réorganisation intelligente
Si l’objectif est de mettre les comptes à l’équilibre sans sacrifier les plus fragiles, plusieurs pistes crédibles existent. Elles demandent du courage politique, mais pas de celui qui stigmatise les malades : du courage pour s’attaquer aux intérêts installés et pour réformer en profondeur.
- Renforcer la justice fiscale : augmenter la progressivité de l’impôt, lutter contre l’évasion et l’optimisation fiscale, taxer équitablement les revenus du capital. C’est redistribuer la charge plutôt que la concentrer sur les plus pauvres.
- Améliorer l’efficience des dépenses : négociation des prix des médicaments, réduction des gaspillages logistiques, incitation aux soins ambulatoires et à la coordination des parcours.
- Investir dans la prévention : programmes ciblés sur la santé mentale, la nutrition, le tabagisme, l’activité physique et la vaccination. La prévention réduit la prévalence des maladies chroniques.
- Renforcer les politiques sociales connexes : logement, emploi, éducation. Agir sur les déterminants sociaux de la santé permet de diminuer la demande de soins coûteux.
- Développer des modèles innovants de financement : taxes ciblées sur des produits nocifs (tabac, alcool), fonds de solidarité spécifiques, réforme des dispositifs de remboursement pour favoriser l’accès précoce.
Tableau synthétique (exemples de mesures et effets attendus) :
Ces alternatives exigent des décisions politiques fermes et un calendrier clair. Elles réclament de la pédagogie : expliquer pourquoi une réforme fiscale ou une taxe ciblée protège la solidarité collective mieux qu’une hausse des frais pour les usagers.
Traiter la santé comme une variable d’ajustement budgétaire, c’est choisir la facilité comptable au détriment de la justice sociale et de l’efficacité sanitaire. Faire peser sur les malades les déficits sociaux n’est ni audacieux ni courageux : c’est une illusion de courage qui reporte la charge là où elle coûte le plus, humainement et financièrement. L’alternative réelle exige de s’attaquer aux causes — justice fiscale, prévention, réorganisation — et non aux symptômes en stigmatisant les plus vulnérables.
Un dernier mot, pour la route (et parce qu’un petit jeu de mots pourri, ça ne fait jamais de mal) : vouloir soigner le déficit en prescrivant des économies aux malades, c’est un peu comme soigner une grippe avec un coup de scalpel — beaucoup d’effroi, et pas forcément de résultat.






